L’idée est venue avec Gaël, praticien de Méditation qui anime ce site, de partager mon expérience de douloureux chronique à travers la mise en place de la pratique méditative. Le travail que propose la Méditation laïque est d’observer le cheminement de la douleur, pour prendre conscience des mécanismes qui la majorent ou qui la minorent. C’est aussi l’occasion de découvrir un nouveau point de vue sur moi-même.

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Constat d’un état de nécessité

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Tumeur et douleur chronique

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A 32 ans, la santé n’est présente à mon esprit que lorsque je la perds. De violents maux de tête révèlent une tumeur cérébrale bénigne. Un hémangioblastome cérébelleux au cervelet qui sera enlevé avec succès. D’après certains neurologues, cette maladie est présente dans le corps dès l’âge de 5 ans, et a une potentialité de se développer ou non, en fonction des expériences de vie. Moi qui ne suis pas du milieu de la santé, je peux directement relier la tumeur à une période où je suis dans un schéma de réussite sociale, sans aucune attention à ma personne.

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Huit ans plus tard, persistent encore des séquelles de la maladie malgré une rémission complète. C’est la mémoire de la douleur, maline, car toujours présente. Ce fantôme, enregistré par le mental, je le traîne comme un boulet au pied. Cela se met en tension malgré moi : un puissant étau se resserre autour du crâne, écrasant les tempes et comprimant le front. Ce qui suscite une pression extrême du lobe frontal et temporal. Cette impression de « casque de douleur » s’exerce de manière permanente.

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Pour me soulager, des électrodes intracrâniennes me sont implantées en 2014 et 2015. Je peux les déclencher à volonté grâce à des télécommandes. Le but est de donner au cerveau une information qui brouille celle de la douleur en le bluffant, comme au poker. C’est bien, mais rien d’illuminant, car leurs efficacités sont très variables.

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D’électrodes en cliniques, j’ai fait le tour des possibilités médicales. Je suis comme le hamster dans sa roue, avec en commun une sensation de vide. Au final, que reste-t-il ? L’envie de vivre ! Oui, mais comment ? Jusque-là, un calme de nécessité m’était imposé, au risque de faire exploser le couvercle de la marmite. Mais, je ne pouvais pas me contenter de survivre, il me fallait trouver autre chose. C’est comme cela que je découvre, sans aucune conviction, l’atelier de Méditation.

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Épisodes dépressifs

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Pendant que je m’initie à la Méditation, c’est la mort de proches qui m’éprouve. Six en deux ans et demi. Cette confrontation brutale aux événements ultimes est insupportable, et mon corps parle. Pendant plusieurs mois, je vomis de la bile tous les jours. Le souffle se coupe, tout se bloque. Pourtant, rien n’apparaît d’anormal aux examens. C’est le signe d’une grave dépression, celle qui fait brancher ma pulsion de vie sur courant alternatif. Il y aura deux épisodes qui se dérouleront pendant l’été, à une période où je ne médite plus, l’atelier étant fermé.

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Je comprends que ce qui me conduit aussi loin dans l’obscurité est l’impérieuse nécessité de trouver des solutions pour faire face à la vie. La Méditation collective semble apporter des réponses et, en 15 jours, les vomissements s’arrêtent. Cependant, je ne souhaite pas encore pratiquer par moi-même, par peur de me retrouver seul en tête à tête. Je ne suis pas dupe du vacarme qui se joue à l’intérieur.

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La Lumière de la Méditation
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Un choix déterminé

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Soudain, j’entends un clic, quelque chose de puissant qui surgit de moi : l’instinct de survie. Cette impulsion innée, automatique, qui me pousse et qui m’appelle. C’est le moment !

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C’est un choix déterminé entre la résilience ou la souffrance. Arrêter de vouloir ce qui ne me convient pas. Je décide de stopper mes compromissions et de prendre maintenant soin de moi. Le bon moment est venu de méditer une fois par jour.

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Mais, les obstacles apparaissent vite : difficulté à focaliser l’attention, paralysie de la respiration, absence de sensations, anticipation permanente liée à une intellectualisation excessive.

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Méditation et ne pas savoir

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Les symptômes de la douleur en Méditation

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Une concentration et une respiration difficile

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En méditant, plus je focalise mon attention, plus j’ai mal. Ce problème de concentration devient évident en pratiquant seul. Mais je dois y faire face puisque c’est un travail préliminaire incontournable. Pendant le 1er mois, la douleur est forte et je me demande ce que je suis en train de faire. Plus je médite, plus le mécanisme « douleur/concentration » est simple à observer, c’est une boucle : je focalise mon attention et cela fait augmenter mon ressenti douloureux caché auparavant par le bavardage mental. Puis, ma crainte de souffrir augmente les tensions. J’appréhende la pratique.

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La douleur bloque aussi la fluidité du mouvement respiratoire et son amplitude. Je suis sur la réserve. Les côtes ne bougent pas, les épaules se haussent et les mâchoires se serrent. Je prends conscience que je ne respire plus par les narines et que mon ventre reste immobile. C’est l’apnée de la douleur. La concentration et la respiration sont des vases communicants. Si la concentration est difficile, alors la respiration l’est aussi, et inversement. C’est un choc de se rendre compte que le corps et l’esprit se sont perdus de vue depuis si longtemps.

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L’esprit coupé du corps

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Avoir du mal à se concentrer, et donc à respirer, est le symptôme d’une déconnexion du mental d’avec les sensations corporelles. Mon enveloppe est devenue un corps étranger, y compris dans les relations physiques : « Ah oui, c’est vrai, c’était bien, tu as raison, je ne me suis pas rendu compte ». Si la pensée de la douleur occupe tout l’espace de mon esprit, alors les sensations corporelles sont absentes.

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Cet oubli du corps est renforcé par l’habitude mentale de me presser sans cesse à évaluer une situation, dans l’absence de spontanéité, de naturel. Anticiper, c’est imaginer l’instant d’après. Cela crée une « pré-douleur » au niveau des mâchoires. J’ai une crainte de me détendre, parce que je n’ai pas appris. Je remarque comme je suis routinier dans mon élan à éprouver, à endurer, et que l’apaisement est un état étranger.

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Tendance à subir

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Les expériences de vie difficiles me renseignent sur une tendance forte : supporter la souffrance par habitude. Dans le sport, j’entendais souvent : « Il faut savoir se faire mal ».  Une expression bien masochiste à laquelle je m’identifiais. Dans les études, il fallait « ne rien lâcher » pour réussir. Je m’y identifiais.  Dans le travail, l’humiliation était en phase avec une souffrance acceptée. Je me subissais en plein cœur de Stockholm et de son syndrome.

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Esprit passionnel et imaginatif

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Victime ou bourreau, j’ai un besoin de comprendre. C’est humain, et surtout illusoire. Des causes extérieures à soi, pour expliquer les situations, il en existe toujours. Mais, les raisons objectives ne me renseignent en rien sur le rapport passionnel que j’entretiens avec ma douleur, avec la vie. La passion, étymologiquement, renvoie à la souffrance, au sacrifice de soi. J’alimente ce rapport qui majore la douleur.

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Assis, la Méditation enlève un masque : la réalité est assez émouvante sans qu’elle n’ait besoin d’être colorisée à l’excès en rouge ou en noir. De plus, cette tonalité est systématiquement accompagnée d’une émotion :

« Quelles perspectives ai-je dans la vie ?

–  Ma vie n’est-elle qu’une somme d’échecs, dans la douleur ?

– J’ai peur de passer à côté de ma vie. »

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Au bout de 4 mois de pratique, la réponse émotionnelle à ces questions est de plus en plus faible car mon imaginaire travaille moins. C’est ce que pointe la Méditation :

« Comment ça, ne rien imaginer ?? Même pas un petit point ? 

Non. Même pas. Rien.

– Ah bon ? Qu’est-ce qu’il faut faire alors ? Et un point plus petit, qu’on voit à peine ?

– Non. Rien. »

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Enfant, on m’a appris à tout imaginer par la forme d’un objet fini, comme un cube, un cercle. Adulte, il m’est impossible de me représenter l’infini, sans lui ajouter des limites, des contours. Appliqué à la Méditation, à la vie, à la mort, un concept imaginaire s’effondre de lui-même, comme un château de cartes.

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Au bout de 6 mois, les bienfaits physiologiques et psychologiques se ressentent. L’observation des mécanismes de la douleur amène à une meilleure connaissance de moi, de mes capacités ou de mes limites. L’outil est là, à mes genoux. Je n’ai qu’à m’asseoir.

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Méditation aide à porter son attention sur la douleur
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Les premières vertus libératrices de la Méditation sur la douleur

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Observer

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Je me contente, durant la grande partie des séances, d’observer. C’est la clé pour ouvrir les portes du relâchement. Cela déclenche naturellement une mise à distance émotionnelle. Si j’observe, alors j’accueille les émotions, comme je le ferai avec un ami de passage. Ainsi, elles ne se cristallisent pas. Si je porte mon attention sur mon ventre, il devient plus mobile. De cette manière, le cerveau prend l’air. L’oxygène permet aussi à la concentration de s’ancrer dans la douceur.

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Je m’habite enfin de nouveau, et perçois mieux la subtilité, la naissance du frisson. Les sens s’affûtent, et quand les nerfs sont à fleur de peau, j’apprends à apaiser le feu. Ce qui importe, c’est ce qui est là, au-delà même des pensées. Une liberté et une indépendance s’installent enfin entre moi et la douleur. Cet affranchissement n’est devenu possible qu’à partir du moment où je me suis autorisé à ne rien faire.

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Apprendre à ne rien faire

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J’ai toujours vécu l’idée de « faire » comme une valeur forte, symbole de vie : « C’est fou, je n’ai rien fait de la journée ! ». Cela semblait être la pire des choses qu’il puisse arriver. Logiquement, mon esprit associe d’emblée « ne rien faire » à une forme de paresse. Mais la patience, indispensable à la pratique, a très vite balayé cette idée. Puis, de manière plus constructive, j’entends surtout le mot APPRENDRE.

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Au bout d’un an de pratique, je me rends compte que je ne sais rien : ni sur moi, ni sur la vie, ni sur autrui, ni sur le monde. J’en suis quand même secoué, dans la mesure où je me vivais comme aspirant à une connaissance illimitée, afin d’en maîtriser la vie. Seul le contrôle peut donner réalité à cette croyance. Lâcher ce rapport à la vie a été libérateur. Je pensais apprendre de la douleur en méditant, mais, en cours de route, c’est bien de moi dont j’ai dû faire la connaissance.

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Apprendre de moi

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Ancré dans mes certitudes, je me vivais comme quelqu’un de très calme, très posé. Pourtant, un jour, un thérapeute m’a demandé autoritairement de me détendre, allongé sur le dos, la gueule cassée par le néon aveuglant. J’avais une bombe lacrymo dans le regard, en le fixant. J’avais mal pris sa réflexion :

« Quoi ?? Mais je suis détendu, docteur !!! 

– Ah bon ? Avec les jambes croisées ? Et les bras aussi ? Là, vous êtes au maximum de la détente ?

– Ah, oui, là non, vous avez raison. Je confonds tendu et détendu. »

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J’étais mon pire ennemi. J’avais une connaissance de moi limitée au reflet illusoire du miroir familial et social. Cependant, cette histoire avec le thérapeute m’a travaillé. La Méditation montre la vérité : il y a une grande différence entre ce que je crois savoir de moi et la réalité. Entre ce que je dis et ce que je ressens, entre ce que je pense et ce que je suis.

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Je pensais être quelqu’un de responsable puisque c’était inscrit sur la porte de mon bureau. Cependant, je m’en remettais au corps médical pour prendre la responsabilité de ma douleur. Ma carte vitale était devenue une carte de fidélité. Je râlais sans cesse contre les rendez-vous toujours trop lointains. Je ne prenais pas ma part.

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Encore une fois, la Méditation lève un voile : devenir adulte et se prendre en charge, alors que l’habitude est de transférer le fardeau à l’extérieur de soi. Je réalise qu’endosser la responsabilité me donne le pouvoir d’agir et non plus de subir.

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Ainsi, la plupart des croyances que j’ai sur la douleur, sur la vie, sur moi, s’effritent comme un vieux vernis. Je coupe, une à une, mes mauvaises peaux. Le brouillard se dissipe.

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Conclusion

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Par la pratique, le champ des possibles s’étend enfin à l’horizon : les premières petites résiliences, les victoires d’un jour, et donc peut-être d’une vie. La Méditation m’a invité à descendre en moi, à faire exister un éventuel armistice avec la douleur chronique. Elle m’a montré qu’une paix durable est finalement possible.

Aujourd’hui, la douleur est devenue un simple bruit de fond auquel je ne prête que peu d’attention. Elle est là sans être là. Avec la Méditation, pas grand-chose ne change, et pourtant tout change