N’ayant pas d’enfant, le privilège est d’accueillir à moi ceux qui se présentent à ma porte. La relation forte entretenue avec mon neveu est celle d’un échange fait de bienveillance, d’amour de transmission. La richesse de ce rapport est qu’il passe très souvent par le filtre de son rire, manifestation de son intelligence. Bref, on s’amuse beaucoup…
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La montre
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Ma perception change. La liberté avec la douleur est là et je ne le savais pas. Moi aussi je suis là, et je ne le savais plus. J’entends enfin ce qui m’anime, et non ce qui m’agite. Sauf que dans la voiture, à l’instant, les anticipations permanentes de mon neveu de 10 ans sont comme un GPS qui m’indiquerait là où je ne souhaite pas aller, à savoir dans le futur :
« Tonton, qu’est-ce qu’on fera une fois qu’on aura joué au frisbee avec les chiens ? Tonton, moi je pense qu’après ça, on fera çà et demain, on fera çà ….. ».
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C’est un garçon rieur, anxieux, persuasif. Avec son charme, il pourrait convaincre un poisson de sortir de l’eau. Cependant, il se perçoit comme un agenda. Il me connecte d’emblée à l’enfant que j’étais quand il s’éclabousse d’exaltation devant moi. Enfin, son second degré comme nature première lui permettrait facilement de vendre des confettis à la sortie d’un cimetière.
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Mais là, si j’avais suivi uniquement ma première pensée, je lui aurais dit de se taire et de prendre l’air frais par la fenêtre ouverte, pas comme mon esprit à ce moment-là. Je respire et tente quand même de repositionner nos énergies mutuelles :
- « Ecoute-moi un peu. Mets ton enthousiasme là où tu es, c’est-à-dire ici. On n’est pas encore arrivé au parc. Essaie d’être là, avec moi, avec les chiens, regarde les arbres et décris-les-moi. Cet après-midi, j’ai envie de vivre la saison en direct.
- Ça veut dire quoi ?
- Ça veut dire être présent, là, tout de suite. Se rendre un peu plus disponible à l’instant, celui- là, celui qui passe, de seconde en seconde, maintenant ! Et maintenant, tu comprends ? Ne pas toujours parler de demain en observant ce qui t’entoure. Essaie pour voir.
- Je n’y arrive pas ! Au moment où je me dis que c’est maintenant, c’est déjà passé. Ça n’existe pas vraiment ce que tu dis ! ».
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Je cherche un moyen de lui faire comprendre :
- « Regarde ta montre. Imagine le cadran, mais uniquement avec l’aiguille des secondes, pas les autres. Tu y es ? Tu arrives à observer ? Concentre-toi. Tu as vu ? Tu comprends mieux ?
- Non. Pas du tout. De toute façon, c’est pas possible !
- Pourquoi ?
- Parce que Papa, il dit qu’il faut toujours tout prévoir !! »
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J’ai aussi beaucoup anticipé ma vie, en prenant le risque de ne la voir passer que de trop loin. J’ai envie de le partager avec mon compagnon de route :
- « Fais attention, parce que Papa va construire un abri antiatomique près de ta chambre, en prévision de la 3ème guerre mondiale.
- Un quoi ? Près de ma chambre en plus ??
- Je crois même que ce sera dans ta chambre… »
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J’ai besoin de libérer le rire ravalé depuis un moment, quand il s’inquiète :
- « Est-ce que c’est grave pour moi ?! »
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Je m’expulse de rire et il me suit comme une ombre. Il s’autorise ensuite à se taire, à observer le paysage. Ecouter le futur, c’est confondre l’original et la copie. J’entends toujours le futur mais je ne l’écoute plus.
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L’enfant me place naturellement dans la présence. Il ne pense plus à ailleurs en parvenant à rester ici.
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Une Vérité essentielle que mon chien me rappelle sans cesse, quand il m’aboie de lancer le frisbee.
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J’arrête l’autoradio du mental et lui comme moi écoutons maintenant le silence de l’instant.